Au delà de l’espace, au delà du temps…

Quand on visite la région des Dolomites, surtout si l’on observe son étendue du haut d’un grand sommet, on se rend facilement compte qu’on est dans un monde particulier. Les grandes montagnes se dressent comme véritables murailles et châteaux abrupts, et entourent les plaines et les vallées comme pour protéger un bien précieux caché quelque part au cœur des immenses forêts.
Ce bien précieux existe réellement, bien que nous ne sommes plus très nombreux à en connaître l’existence.

Les anciennes légendes que la tradition populaire de nos terres nous a transmises, sont unanimes pour évoquer l’ancien royaume de l’Aurona, un royaume particulier car entièrement situé à l’intérieur de la montagne, où les habitants vivaient dans des grands espaces reliés entre eux par un complexe réseau de tunnels obscurs.

Des lampes suspendues à la voûte éclairaient cet étrange royaume, où les habitants travaillaient en creusant toujours plus en profondeur dans la montagne, afin d’y extraire l’or et les pierres précieuses qu’elle recelait en quantité. Des grandes fournaises, toujours dans le sous-sol, brûlaient jour et nuit pour faire fondre les précieux minéraux et fabriquer toute sorte de bijoux et ustensiles.

Le royaume de l’Aurona était très riche, et tous ses habitants vivaient en paix. Jadis, pour protéger cet endroit aussi spécial, le roi avait donné l’ordre que l’immense porte d’or permettant l’accès a l’Aurone reste fermée,  et depuis ses gardes montaient la garde et interdisaient à quiconque de s’approcher. Ainsi année après année,  génération après génération, les habitants du monde souterrain avaient oublié l’existence du monde extérieur, qu’ils n’avaient jamais connu.

Un jour un événement inattendu se produisit : la grande lampe suspendue au plein milieu de la voûte centrale se détacha et tomba au sol dans un fracas assourdissant. Tunnel après tunnel, le bruit se propagea dans tout le royaume. Inquiets, curieux, surpris… les habitants coururent pour voir ce qui avait provoqué ce grand coup de tonnerre. Petit a petit, des plus proches aux plus lointains, les habitants de l’Aurona se retrouvèrent tous autour de la lampe qui gisait au son en mille morceaux.

Au plafond, là où la lampe était accrochée, un trous dans le rocher de la voûte faisait pénétrer un rayon lumineux venant de l’extérieur, et la semi-obscurité du lieu était transpercée d’une clarté comme personne parmi les présents n’avait jamais vu. C’était un rayon du soleil qui arrivait à s’infiltrer dans le monde souterrain traversant la paroi rocheuse. Toute la salle se retrouvait éclairée d’une clarté nouvelle et inconnue.

Un groupe d’ouvriers apporta une longue échelle, et un jeune homme téméraire grimpa les marches jusqu’au trou, et y mettant la tête il pu observer le monde extérieur. En bas, dans un grand silence, tout le monde regardait abasourdi vers le haut, et attendait.

« Si vous saviez tout ce que je vois d’ici » dit le jeune homme. Dans la stupéfaction générale il se mit à décrire les différentes choses qu’il voyait : les près verts aux fleurs de toutes les couleurs, les arbres aux grandes feuilles, les sommets des montagnes couverts de neiges immaculées, les troupeaux d’animaux qui broutent au bord du torrent… « Tout en haut – dit-il – il y a une chose qui doit être le Seigneur Dieu, car il éclaire tout l’univers de sa lumière et le réchauffe de sa chaleur ». On ne se laissait pas de l’écouter parler, décrire, raconter…

Mais les gardes du roi arrivèrent sur les lieux, obligèrent le jeune homme a descendre de l’échelle, et dispersèrent le rassemblement. Arrivé en bas de l’échelle, le jeune homme était devenu aveugle, ébloui par la grande clarté que ses yeux non habitués avaient pu contempler pendant quelques instants.

Le trou fut bouché,  et une nouvelle lampe pris la place de celle qui était tombée. Les habitants retournèrent a leurs occupations, comme avant. Le rythme des jours repris normalement, et l’accident de la lampe fut vite oublié.

Mais, quelques temps plus tard, un nouveau sentiment se manifesta peu à peu dans le peuple, tout d’abord dans le cœur des plus jeunes, et gagna progressivement l’entière population de l’Aurona. C’était comme un désir non satisfait, un regret inexprimé, une nostalgie inexplicable.

Les gens de l’Aurona rêvaient de ce monde extérieur a peine aperçu et déjà perdu. Plus que tous les autres le désir de monde inconnu gagna la princesse Sommavida, fille du roi. Elle restait assise de longues heures a côté de la porte d’or, en compagnie du jeune homme aveugle, et se faisait raconter encore et encore tout ce qu’il avait aperçu à travers le trou dans la montagne.

Un jour la tension monta au maximum. Tout le peuple se rassembla, et avec la princesse Sommavida en tête se dirigea vers la porte d’or. Les gardes ne furent aucune résistance et s’unirent a eux. La porte d’or fut finalement ouverte. Tous, sans aucune hésitation, se précipitèrent a l’extérieur, et descendirent en courant vers la vallée. Même le roi, se voyant tout seul dans le royaume désert, rejoignit sa fille, et marchèrent ensemble vers les lumières des villages qu’on apercevait loin plus bas.

La surprise et la joie furent grandes ce jour là. A cause du grand bonheur de se retrouver enfin dans monde nouveau, qu’on commençait a peine a découvrir, personne ne pensa de noter l’endroit d’où ils venaient de sortir. Depuis la végétation poussa, des éboulements tombèrent, le paysage changea et l’entrée du royaume de l’Aurona fut oubliée.

Nous fûmes nombreux à nous rendre sur les lieux, à explorer les gorges profondes, à gravir les sommets avec le secret espoir de retrouver l’accès à cet endroit mythique. C’est certain : la grande porte d’or n’a plus jamais été retrouvée. L’entrée du royaume de l’Aurona reste inconnu, et peut être il le restera à jamais. Mais nous, les derniers descendants de ce peuple merveilleux, ne le regrettons pas. Nous savons trop bien que les lueurs de quelques éclats de richesse ne pourront jamais arrêter notre quête de lumière.