Le BLOGNOTES
de Fabio perso & PRO
  1. Accueil
  2. Le Blog
  3. Un cadeau précieux, personnel… unique



Connexion

Un cadeau précieux, personnel… unique


Un chorégraphe savant a déployé images, sons et parfums pour un spectacle unique qui m’est réservé. Trop de moyens déployés pour une seule personne, j’en ai le souffle coupé. Je vis un privilège unique dont je suis le seul témoin et bénéficiaire.

De passage en Chartreuse, quelques heures de temps libre me permettent de partir pour me dégourdir les jambes. Partant de Saint Pierre, je prend le chemin qui monte au Grand Som. C’est un sommet que j’affectionne, celui du Grand Som : des dizaines de fois je l’ai gravi. Chaque fois il a su me surprendre et m’enchanter avec des sensations nouvelles.

En effet les souvenir tournoient dans ma tête. Assis au sommet du Grand Som on se sent comme dans la loge d’un grand théâtre, et on participe à une représentation qui ne se répète jamais. On admire le bassin de Saint-Hugues, avec sa mosaïque ordonnée de prés, de champs cultivés, de bois et de hameaux habités. En face, on explore du regard les sommets abrupts du Grenier et de la Dent de Crolles, qui sortent du décor et s’avancent pour participer en protagonistes à la représentation en cours. Et une myriade de parapentes multi-couleurs voltigent parfois loin, parfois tout près, distrayant l’attention et faisant tournoyer nos yeux. Et solennel au nord, immobile, se dresse sa majesté le Mont Blanc, dans son monde à part où la neige et la glace scintillent en toute saison.

Montant le sentier escarpé, sous le couvert de la forêt, je me demande quelle nouvelle surprise pourrait encore se montrer aujourd’hui. Quels nouveaux tableaux le scénographe a prévu pour les spectacle d’aujourd’hui ? Peut être un détail curieux sur l’arête des Lances de Malissard, ou peut être un contraste de lumières et de couleurs au moment du soleil couchant ? Ou encore un troupeau d’animaux bruyants traversant les pierriers en contrebas ?

Après la Brèche de la Suiffière, le long de l’arête qui mène au sommet, je me rends compte que la surprise du jour est de taille : le rideau est resté fermé ! Un grand brouillard épais  enveloppe le sommet et empêche de voir au delà de quelques dizaines de mètres. Assis sur la crête tout près du sommet, j’entends les voix des randonneurs assis à côté, sans pouvoir les distinguer. Je me dis qu’aujourd’hui ce n’est pas comme les autres fois. Le spectacle n’aura pas lieu, le rideau ne se lèvera pas et le billet ne sera pas remboursé.

J’emprunte le chemin de la descente. Je fais quelques pas et j’observe tout autour. Encore quelques pas… D’un coup une émotion forte m’envahit, la surprise est totale : au lieu de se lever, le rideau m’entoure et voltige en suivant mes déplacements. Je suis sur scène ! C’est une scène immense, où le rideau se déplace pour que le décor se découvre au fur et mesure que j’avance le long du chemin. Je frémis devant une étendue de fleurs blanches qui s’étalent jusqu’à se fondre dans le fond ouaté, puis soudain je me fige face à un mur en calcaire sculpté, et en me déplaçant à côté je traverse un petit ruisseau qui peine à se  frayer le passage entre les mousses et les racines. Et toujours le brouillard qui se redéploie et attire mon attention vers un détail, puis un autre différent, puis encore un autre…

Une symphonie de sons étoffés empreigne l’action, dont les variations sont amplifiées et transformées par l’écho de parois invisibles. Je m’éloigne le long d’une crête et le vent se lève. Le spectacle va en crescendo, le rythme s’intensifie. Je tourne, je m’arrête, je me retourne encore enivré d’un bonheur écrasant.

Un chorégraphe savant a déployé images, sons et parfums pour un spectacle unique qui m’est réservé. C’est une représentation unique dont je suis le seul bénéficiaire.

Je n’arrive plus à avancer. Je me dis que je suis essoufflé, et pourtant le chemin continue en descente et l’effort physique est faible. Trop de moyens déployés pour une seule personne, j’en ai le souffle coupé, et mon cœur bat vertigineusement. J’assiste à un spectacle d’une telle beauté, et je ne peux le partager à personne. Il est pour moi, pour moi seul. Je vis un privilège unique dont je suis le seul témoin et bénéficiaire.

Je me demande si tout cela est bien réel, et si c’est un heureux hasard qui a rassemblé les conditions pour éveiller ainsi tous mes sens, ou si une intelligence bienveillante orchestre et conduit ce moment magique. Mais non, ce n’est vraiment pas le moment de la spéculation : cet instant est là pour savourer jusqu’au bout,  comme un enfant, le cadeau qui m’est proposé.

Je repars suivant le chemin qui monte sur le versant en face. Un nouvel acte démarre avec des couleurs brillantes sur des grandes fleurs aux parfums intenses. Puis une descente raide, sur une pente aride, pendant que le brouillard s’agite dans des tourbillons laineux. Plus bas, à la sortie de la forêt, le brouillard se lève, et la vallée de la Chartreuse se montre de nouveau devant moi. Le rideau maintenant immobile et silencieux couvre les sommets, gardant jalousement le mystère des instants que je viens de vivre.

Seul, au milieu d’une prairie, étourdi, je tourne encore une fois mon regard vers la montagne invisible, et j’éclate de rire. Comme un fou j’applaudis, j’applaudis fort : bravo au directeur d’orchestre, bravo au scénographe, hourra au réalisateur ! Je descends au village absorbé par mes pensées. Que s’est-il passé ? Que m’est-il arrivé ?

En effet, je n’en sais rien, c’était un cadeau !